Les Managers, moteurs opérationnels du changement et leviers de la transformation

Adapter l’organisation du travail ne peut pas se faire sans eux : les managers ! 

Véritables stimulateurs au sein des organisations, les managers jouent un rôle clef dans la transformation des entreprises de par leur positionnement et leur responsabilité. Plus que des relais, plus que des exemples, ils sont l’énergie nécessaire pour donner l’impulsion, pour embarquer, faire adhérer, donner envie aux collaborateurs de se projeter, de monter en compétences, de « performer » et d’innover.

Mais pour permettre cela, les organisations doivent prendre soin des managers. Prendre soin ne veut pas seulement dire les « chouchouter » ou les réconforter quand ça va mal, mais plutôt leur donner les moyens de se positionner là où l’organisation les attend. Autrement dit, une organisation qui se transforme implique aussi des managers qui se transforment, pour qu’eux-mêmes soient en mesure d’aider leurs collaborateurs dans le changement. Il s’agit donc de travailler à une réelle évolution de la culture managériale pour permettre l’adaptation de l’organisation du travail aux nouveaux enjeux : passer du manager promu et reconnu pour son expertise technique pendant des années au manager leader et coach, soutenir plutôt qu’”appuyer”, accompagner plutôt que commander, aller d’une relation “parent–enfant” à une relation équilibrée “adulte–adulte”. Selon Daniel Goleman, docteur en psychologie et pionnier de l’intelligence émotionnelle, deux tiers des résultats d’une entreprise reposent sur les compétences émotionnelles des managers. Un leader qui fait preuve d’une grande intelligence émotionnelle pourra plus facilement influencer positivement son collectif. Il s’agit donc d’un changement complet du métier de manager qui nécessite une approche structurée et systémique au sein des entreprises.

manager et employé devant un tableau blanc

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En d’autres termes, l’évolution de la culture managériale ne se décrète pas, elle s’inscrit dans le temps long ; elle est le fruit d’une combinaison d’actions continues et ciblées sur le recrutement et la professionnalisation, et également l’animation et la communication.

Qui dit évolution de la culture managériale dit d’abord clarification de ce vers quoi l’organisation veut évoluer, de ce sur quoi elle souhaite faire évoluer ses managers. Dans un second temps, une fois cette cible définie, il s’agira de passer par une phase d’état des lieux ou de diagnostic, pour savoir où en sont les managers, individuellement et collectivement, par rapport à cette cible et quel est le chemin à parcourir.

Ensuite, la mise en œuvre conjuguée d’actions concrètes et adaptées à ce chemin en termes de recrutement, formation, accompagnement ou communication permet d’opérer des changements de manière progressive dans les comportements et les pratiques managériales. Enfin, pour boucler la boucle, c’est le système de performance globale qu’il s’agit de mettre en cohérence avec la cible et les valeurs de l’organisation.

C’est le passage par ces quatre étapes clefs qui nous semble indispensable pour que les managers contribuent à adapter l’organisation du travail aux nouveaux enjeux.

1. Personnaliser le modèle managérial

Quel modèle managérial pour quelle organisation ? Ou comment construire un modèle managérial adapté aux enjeux de l’organisation/de l’entreprise ?

Les managers doivent savoir ce que l’organisation attend d’eux.

Chaque entreprise a des attentes vis-à-vis de ses managers qui lui sont propres et, de ce fait, on observe que chaque entreprise développe un modèle ou un référentiel managérial adapté à ses enjeux et à ses objectifs. Il y a bien sûr des grandes tendances et des similitudes dans les attendus des grandes organisations (un manager adaptable, agile, axé sur le collaboratif sont les termes souvent utilisés dans la littérature sur le sujet), mais en fonction des enjeux et des priorités de l’entreprise, les référentiels peuvent varier grandement. D’où l’importance de déterminer et de partager dès le départ une définition claire des attendus propres à l’organisation.

Dans les modèles managériaux que nous avons étudiés et dans nos organisations respectives, on retrouve certaines compétences clefs attendues du manager : 

  • Tout d’abord, ce que l’on appelle la « Learning agility », cette capacité à comprendre et à apprendre vite, voire à apprendre à apprendre ;
  • La capacité à transmettre, à diffuser les messages, à porter le sens et la vision ;
  • La capacité à développer les compétences, à accompagner les collaborateurs dans leurs parcours ;
  • La capacité à innover, à penser différemment (“out of the box”) et à attirer des profils différents du sien (cf. Partie I sur les profils différents) ;
  • Enfin la capacité à se mettre au service de l’organisation, à cultiver le sens du collectif et de l’intérêt général. Un article de HBR développe cet aspect, particulièrement à la lumière de la crise COVID.
boussole

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Ce référentiel ne doit pas toutefois pas barrer la route à des profils atypiques, par exemple les profils introvertis. Il est donc impératif de créer un modèle assez souple pour permettre, voire encourager l’innovation. Un référentiel n’est pas un moule permettant le clonage, mais plutôt une cible, une boussole, un repère vers lequel se diriger individuellement et collectivement.

Pour construire ce modèle ou référentiel managérial, nous avons pu observer trois approches possibles : l’approche participative (chez RTE par exemple, cf. Encart 16) et celle inspirée par la vision du board (que nous a présentée Armand Sohet chez Sulzer par exemple, cf. Encart 15).

Une troisième voie est l’approche centrée non pas sur un référentiel, mais sur les interactions humaines en premier lieu ; cette vision plus agile est particulièrement adaptée pour les ETI par exemple, et c’est ce que vivent les collaborateurs et les managers de BWT (cf. Encart 20).

2. Prendre conscience et se situer

Pour changer, il faut d’abord prendre conscience de là où l’on en est par rapport à ce modèle. Comment permettre aux managers de se questionner sur eux-mêmes et trouver leurs leviers de développement et de transformation ?

Prendre conscience implique avant tout une certaine ouverture ou volonté de visualiser sa propre image. De manière générale, les individus ne sont pas toujours prêts à accueillir ce renvoi d’image parce qu’il porte potentiellement en lui un nécessaire changement. Et qui dit changement, dit incertitude, déséquilibre et inconfort au moins temporairement. Alors comment susciter cette prise de conscience ou donner l’envie de mieux se connaître ? Par deux approches, si possible combinées : l’approche individuelle et l’approche collective.

a. L’approche individuelle (et la plus-value des Ressources Humaines)
Tableau des objectifs SMART

Tableau des objectifs SMART.

Dans la majeure partie des organisations observées, l’entretien individuel est un moment privilégié pour échanger avec son manager sur l’activité, les objectifs et les résultats mais aussi sur le parcours professionnel et les possibilités de développement et d’évolution. En règle générale, concernant la mesure de la performance, le N+1 se sentira à l’aise et légitime pour apporter une appréciation objective dès lors que les objectifs ont été posés clairement au départ. Un des modèles efficaces et faciles d’usage en la matière sont les objectifs « SMART ».

Pour ce qui concerne le développement de son collaborateur (qu’il soit en position de management ou pas), l’échange est bien plus compliqué car il s’agit d’aborder bien sûr les compétences techniques mais aussi (et de plus en plus) les compétences comportementales pour lesquelles le seul regard subjectif du manager « hiérarchique » ne suffit pas.

L’évaluation des compétences comportementales doit reposer également sur des approches et méthodes d’observation qui permettent le croisement de regards et l’objectivation.

Par exemple, les « assessments » avec mise en situation, l’évaluation en 360° et l’utilisation d’outils psychométriques sont des dispositifs RH fréquemment utilisés dans les organisations pour identifier efficacement les principaux axes de développement des managers. Ainsi, avant de se précipiter sur une solution de type formation ou coaching, il est essentiel pour les managers de mieux se connaître afin de mieux cibler leurs actions de développement. Bien évidemment, ces démarches requièrent de la part du manager une réelle volonté de se questionner et de se remettre en question. Et plus qu’une volonté, c’est même une compétence en soi et les managers qui ne l’ont pas ne sont tout simplement pas à leur place !

b. L’approche collective

En parallèle des démarches de diagnostic individuel, les baromètres sociaux ou les sondages auprès des salariés apportent des éclairages fort intéressants sur les évolutions attendues en matière de culture managériale. 

Avec la crise COVID et l’incertitude associée, ces sondages se sont d’ailleurs multipliés dans les entreprises. Le besoin de disposer de repères, presque en temps réel, sur le ressenti et le point de vue des salariés s’est fait de plus en plus prégnant pour guider l’action des managers de l’entreprise. Ces états des lieux qui portent en général sur le bien-être au travail, la confiance en l’avenir de l’entreprise ou encore la communication, comportent de plus en plus de de questions autour des pratiques managériales. Mon manager donne-t-il naturellement le droit à l’erreur ? Mon manager me fait-il confiance dans mon travail au quotidien ? Mon manager transmet-il sa motivation pour atteindre un objectif commun ? Mon manager maintient-il un climat de confiance au sein de l’équipe ? Autant de questions qui permettent de mesurer le chemin à parcourir entre le modèle managérial théorique (ce qui est voulu) et son application concrète (ce qui est vécu).

Ce sont bien ces deux visions (individuelle et collective) qui permettent aux organisations de mieux cibler ensuite les actions de transformation managériale nécessaires.

3. Se mettre en mouvement concrètement

Quelles solutions concrètes mettre en œuvre ou quelles actions efficaces mener pour amorcer la transformation managériale ?

a. Des actions de professionnalisation

Les programmes de coaching et/ou mentoring et de formation au leadership doivent accompagner les managers à différents niveaux. Oser, développer le courage managérial (y compris dans le champ disciplinaire) est indispensable. La fameuse bienveillance managériale n’exclut pas le contrôle et la franchise ! Instiller le courage et l’audace pour réussir à faire changer les organisations et à adapter les entreprises n’est pas une mince affaire. C’est une affaire de comportement… encore les compétences comportementales ! Mais là où le bât blesse dans certaines organisations, c’est qu’il faut parvenir à faire évoluer des comportements ancrés depuis longtemps dans la culture d’entreprise, et souvent au plus haut niveau…

Ainsi, les actions de développement doivent nécessairement concerner la tête de l’entreprise en premier. Sans cela, pas de transformation possible !

Nos organisations encore très pyramidales n’échappent pas à l’exemplarité et au phénomène de « ruissellement » du haut vers le bas, comme le programme We Lead mis en place chez Adisseo. (cf. Encart 17)

Les 4 savoirs du management

Les 4 savoirs du management

En parallèle, il est crucial de « chouchouter » les managers intermédiaires ou les managers de proximité (dont c’est le plus souvent la première expérience managériale). Ce sont eux qui embarquent en premier les salariés, qui doivent motiver, intéresser et engager vers un objectif commun. Ce sont eux qui donnent le sens au quotidien. Ce sont eux qui incarnent l’entreprise. Et il faut les équiper correctement et quasiment en continu. De leur bon développement dépend le bien être des équipes et la performance de l’entreprise. Ils sont souvent les parents pauvres des grands programmes de formation au leadership, mais de plus en plus d’organisations leur proposent désormais des programmes de formations managériales dédiés, comme Primolead et Fonman chez RTE. (cf. Encart 18), ou encore le programme d’accompagnement de tous les Managers chez Naval Group pour manager positivement, selon une méthode basée sur les 4 savoirs, et permettant de valoriser l’individu, préciser ses exigences, rappeler les règles et donner du sens afin de garantir la réussite de son équipe dans un contexte de changement permanent.

b. Des actions relatives au recrutement des managers

Les actions de développement ne suffisent pas toujours.

Pour faire évoluer la culture managériale, il faut parfois procéder à des changements de personnes.

Le choix d’un manager n’est jamais simple. Encore une fois, il s’agit de porter davantage un regard sur des postures ou des comportements, plus que sur des compétences techniques, notamment lors de la détection de potentiels managers. Sans cela, l’entreprise prend un immense risque de positionner des personnes qui n’ont pas les prérequis nécessaires pour embarquer des collectifs et des individus dans une dynamique positive et constructive. L’exemple de Michelin est, à ce titre, très parlant.

c. Le développement de l’intelligence collective et les approches par l’expérience 

En complément des programmes de formation classiques, de plus en plus d’organisations mettent en place des actions de co-développement managérial (méthode Payette et Champagne). Véritable dispositif solidaire, les managers, par le partage de leurs expériences, se soutiennent et s’entraident dans leur mission au travers de temps dédiés. Ces temps collectifs de développement permettent également aux managers, par l’imprégnation et le partage de vécu, de se sentir pleinement acteurs du collectif managérial de l’entreprise et de prendre réellement conscience de leur place et de leur rôle dans la transformation de l’entreprise.

teamwork

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d. Et pourquoi ne pas oser un dialogue social différent ?

La crise COVID a été un accélérateur sans précédent de nouvelles pratiques dans toutes les sphères de l’organisation du travail et dans les modes de management. Elle a permis de tester en grandeur réelle certains modes de fonctionnement qu’on ne pouvait imaginer il y a seulement quelques années. Nos différentes recherches et nombreux échanges dans cette période particulière nous ont parfois amené des exemples qui interpellent et ne laissent pas indifférents.

Le partage avec des représentantes de la CFE-CGC de RTE était à cet égard très intéressant. Imaginez un dialogue social où direction et partenaires sociaux avancent ensemble dans un objectif commun en toute transparence… Imaginez managers et organisations syndicales qui partagent la même information au même moment… Dans ce temps de crise, l’urgence fait tomber les codes et les jeux de rôle et impose de travailler ensemble en bonne intelligence avec une implication de chacun. D’un coup, beaucoup de choses ont été rendues possibles : « il y a eu une réelle capacité à négocier rapidement, une capacité à se rendre disponible et on a su compter les uns sur les autres. Le travail a été rendu plus fluide du fait de cette crise et de l’enjeu : il fallait rapidement adapter l’organisation du travail tout en maintenant l’activité et en préservant la santé et la sécurité des salariés. La confiance, la capacité d’adapter nos modes de fonctionnement, des informations régulières sur la situation sanitaire ont été des atouts et finalement d’autres dossiers pourraient bénéficier de ce même cadre. »

Et si cette écoute et cet alignement très forts sur cette période étaient possibles dans la durée ? Et si finalement, ce dialogue social “mature” n’était pas un des leviers de la transformation managériale ? En tout état de cause, cet exemple de la gestion de la crise COVID nous montre que replacer l’humain au centre, sans s’encombrer des lourdeurs organisationnelles habituelles, permet d’avancer plus efficacement.

In lifting others we rise

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4. De la transformation individuelle à la transformation systémique

Comment intégrer ces évolutions dans le système de performance globale et les modes de fonctionnement de l’entreprise ? Comment passer de la transformation des managers à la transformation du management de l’entreprise ?

On l’a vu précédemment, impulser l’évolution ou la transformation d’une organisation ne peut se faire sans les managers. C’est la démarche entreprise par HydroQuébec (cf. Encart 11). Et pour cela, eux-mêmes doivent se réinventer autour d’un modèle managérial commun, socle de la culture managériale de l’entreprise.

Ce modèle irrigue les postures et pratiques managériales, mais il est également porteur de valeurs qui doivent se retrouver dans le système de management ou le système de performance globale de l’entreprise.

De la marque employeur à la politique de recrutement, de l’appréciation de la performance à la rémunération de la performance, de la construction du projet professionnel à la mobilité interne, de la formation à l’accompagnement individuel et collectif, du temps de travail à la qualité de vie au travail, c’est le système complet de pilotage de l’organisation qui est à requestionner à l’aune du modèle managérial souhaité. Schneider Electric s’est engagé dans cette logique depuis plusieurs années avec succès déjà (cf. Encart 19). Dans le cas contraire, l’entreprise prend le risque de ne pas être congruente entre le discours et les pratiques et les managers peuvent perdre en crédibilité vis-à-vis des salariés.

En conclusion :

Se transformer pour transformer à son tour : voilà l’enjeu du manager et du dirigeant ! C’est un véritable changement de métier impliquant une remise en question des pratiques et des compétences. Et ce changement n’est pas un “one shot” : la mue sera permanente. Face aux nouveaux enjeux émergeant en continu dans un environnement incertain (VUCA), le manager devra se réinterroger sans cesse sur ses approches, en mode réflexif, pour s’adapter d’abord lui-même et être en mesure d’accompagner ses collaborateurs dans le changement. Pour aller plus loin, l’émission Smart Rebond du 13 novembre 2021 apporte un éclairage actuel faisant écho à notre propos.

go up and never stop

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