Le Sens & la Raison d’être

Le sens et la raison d’être, des outils de responsabilité sociale pour attirer, fidéliser et mobiliser les parties prenantes.

Commençons par un exemple, pour nous rendre compte de l’importance du « sens » dans la gestion, l’adaptation et la survie des organisations dans le temps. Les Armées sont une organisation basée sur l’engagement de chaque soldat, engagement porté à son plus haut degré car cela va jusqu’à accepter le sacrifice ultime. La raison d’être du militaire est l’engagement, et tout le reste s’articule autour de cette valeur. La permanence de cette valeur est ce qui a permis aux armées de tenir et s’adapter au fil des siècles et c’est grâce à cela qu’elles ont pu demeurer une organisation d’excellence au moment de la suppression du service militaire, décision qui a mis fin à deux siècles de conscription nationale et donc de recrutement « automatique » ; pour devenir une armée de métier, cette institution a dû sélectionner ce qui était le plus vital pour elle, ce qui lui donnait un sens, et qui serait le socle sur lequel bâtir le professionnalisme extrême de ses membres au service de l’Etat de droit. Grâce à la permanence de ce choix du sens de l’engagement, que rappelle le CEMA dans sa tribune du 11 novembre 2021, les armées françaises restent parmi les meilleures du monde malgré une taille relativement réduite, et participent du rayonnement politique et stratégique de la France dans le monde.

Dans les entreprises, ces dernières années, on a bien noté aussi l’émergence d’un besoin de fond, d’une quête de sens, pour animer la gouvernance aussi bien que les activités quotidiennes.

Sans aller jusqu’à demander aux employés de risquer leur vie, bien au contraire, les entreprises demandent désormais souvent à leurs salariés d’adopter certains comportements, de mettre en pratique des valeurs ou même d’adhérer à des « believes », des croyances ; il peut s’agir d’une co-construction comme d’une animation orchestrée par le top management.

L’essentiel est de créer et faire vivre ce corpus axiologique.

Quelles sont les origines de cette vague de quête de sens et de définition de vision ? La raison d’être et la vision sont ce qui reste quand l’entreprise change, elles sont ce qui permet aux salariés de s’y retrouver toujours avec le même attachement et la même envie de faire de leur mieux. Dès lors, comment faire se rejoindre les aspirations individuelles et les valeurs de l’entreprise, afin de garantir que l’entreprise survive à ses transformations successives ?

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1. Une vision business qui intègre les aspirations sociétales des employés

Comment capturer les aspirations sociétales des employés et les intégrer dans une vision business ?

Deux phénomènes concomitants rendent obligatoire pour l’entreprise de poser la question de ses valeurs et de leur adéquation avec sa vision et ses modes de fonctionnement à tous les étages de l’organisation :

  • d’une part, pour s’adapter et donc survivre, l’entreprise doit pouvoir recruter, engager et fidéliser ses collaborateurs et ses parties prenantes – les actionnaires, les autorités locales, les clients, les fournisseurs… Les salariés en général et les talents en particulier choisissent l’entreprise qui répond à leurs besoins et valeurs ;
  • d’autre part, l’entreprise a besoin d’identifier des leviers pérennes d’intelligence collective et de performance, et ces leviers doivent être partagés par tous. 

Le process est logique : il s’agit pour l’organisation de capturer les aspirations de ses parties prenantes (et notamment de ses employés) pour identifier les décalages avec sa vision existante, et s’efforcer de réduire ces décalages en travaillant sur les valeurs de l’entreprise et/ou la culture des salariés. Cela permet d’aboutir à une situation d’équilibre entre les attentes des salariés et les besoins de rentabilité à court, moyen et long termes pour l’entreprise. C’est l’objectif de la démarche entamée par de nombreuses entreprises, comme Guerbet, pour formuler leur raison d’être.

Cet équilibre est rendu compliqué quand ce qui était important aux yeux d’une génération, et donc valable et utilisable de manière pérenne, n’est plus aussi important pour la génération suivante, d’autant plus que les générations durent de moins en moins longtemps.

business model

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L’organisation doit donc constamment se challenger, repréciser ses axes et donner de la perspective.

Les enquêtes d’opinion auprès des salariés, comme les études sociologiques de plus grande ampleur ou les papiers publiés dans la presse spécialisée, montrent aussi la nécessité d’incarner ces valeurs dans la gouvernance et le business model des entreprises et pas uniquement dans les à-côtés de leur activité économique. Ce besoin de fondement, de sens et d’alignement avec ses propres valeurs, est nécessaire pour déclencher la motivation et l’engagement de nos parties prenantes et notamment des salariés ; il est même devenu un axe important de « l’expérience collaborateur ».

La difficulté est alors de faire se rejoindre les aspirations individuelles et les valeurs de l’entreprise.

Comme le titrait McKinsey dans un de ses récents podcasts, le 5 juin 2021, « purpose is personal but companies play a critical role in how to express it » : il y a une claire porosité entre les aspirations de vie personnelle et les attentes des salariés vis-à-vis de leur employeur, et plus encore chez les millenials. Et de donner des arguments objectifs, chiffrés, qui démontrent l’impact indéniable de cet alignement :

  • 7 employés sur 10 avaient repensé leurs priorités à la lumière de la crise du COVID ;
  • Parmi les employés qui déclaraient être en accord avec la vision de leur entreprise, 
    • La résilience est 6,5 fois plus élevée
    • La santé est 4 fois meilleure
    • 6 fois plus d’employés déclarent ne pas vouloir quitter leur entreprise 
    • 1,5 fois plus de personnes expriment leur volonté de se dépasser pour contribuer aux succès de leur entreprise.

Ces dernières années, la quête dans la sphère privée de l’amélioration de la société et de la protection de l’environnement s’est massivement traduite par des réflexions dans l’entreprise sur la RSE (Responsabilité Sociale de l’Entreprise), les questions de durabilité, d’éthique, d’économie circulaire, de transition énergétique, les politiques d’achat responsables, la diversité et l’inclusion. HydroQuébec travaille ainsi depuis 2016 à remettre en forme sa raison d’être et à l’articuler en continu jusqu’à son impact sur la gestion de son business et le management de la performance. (cf. Encart 11)

L’entreprise peut aussi, en préambule ou en accompagnement de la refonte de sa vision, mettre en place des actions concrètes innovantes ciblant davantage les employés eux-mêmes, comme le faisait Airbus avec son offre de formation « promotion sociale » : il s’agissait de proposer à tous les collaborateurs du groupe, mais aussi à leurs familles et aux sous-traitants, des parcours de formation aux technologies de l’aviation, afin de créer un attachement de la famille et pas seulement de l’employé.

La question est alors bien pour l’entreprise et ses leaders de distinguer l’effet de mode de la vague de fond afin de décider de ce qui est approprié.

2. La prise en compte des aspirations des employés dans une démarche sincère et pérenne

Comment faire en sorte que la prise en compte des aspirations des employés s’inscrive dans la durée et procède d’une démarche sincère ?

Pour une entreprise, quelle est la priorité entre donner du sens et gagner de l’argent ?

Mais après tout, ces deux priorités doivent-elles être nécessairement des injonctions contradictoires ? L’entreprise ne doit-elle pas en effet faire en sorte que désormais, l’impératif de rentabilité économique soit conciliable avec cette quête de sens ? Selon les entreprises, la balance penchera davantage d’un côté ou de l’autre ; mais on notera que depuis quelques années, presque toutes les entreprises structurées intègrent, dans leurs objectifs et bilans, des cibles RSE (Responsabilité Sociale de l’Entreprise), comme le montre par exemple le baromètre Vendredi 2021. Est-ce pour répondre à un impératif marketing et « marque employeur » ou est-ce une véritable préoccupation impactant le modèle même de l’entreprise ? 

a. La RSE, de la soft law à la norme
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La RSE n’est pas un concept né de la crise du COVID. Le terme apparaît dans les années 60 et trouve ses racines dans le XVIIème siècle. La RSE est avant tout alors une « soft law », dont le non-respect n’engage pas la responsabilité financière ou légale des dirigeants. Les années passant, la réalité a rattrapé ce libre engagement ; dès lors,

la RSE n’est plus seulement un engagement de quelques esprits altruistes, elle devient un enjeu business,

comme l’explique le site RSE pro : « ce sont souvent des actes, des événements, qui à partir des années 90 ont façonné le concept de RSE et l’ont fait évoluer, aboutissant aujourd’hui à la sortie de la norme ISO 26000. Bhopal en 1984, Enron en 2001 sont ainsi des exemples de dates clés qui ont fait bouger la RSE et la perception de son intérêt, à la fois par les acteurs, mais aussi par les consommateurs ».

Cette normalisation de la RSE s’inscrit également dans les arsenaux législatifs et réglementaires progressivement mis en place par les pays pour guider et contraindre les acteurs économiques à prendre en compte leur impact social, sociétal et environnemental. La RSE est donc devenue une obligation et non plus un choix que l’on fait pour adhérer à des convictions.

b. Le renouveau de la RSE – ontologique versus cosmétique

Dans la majorité des entreprises en France, l’intégrité physique des salariés n’est plus en danger – cela ne signifie pas qu’il faille relâcher la moindre attention, mais un seuil très bas est durablement établi (cf. Partie 2). Une fois l’intégrité physique garantie, il reste aussi à maintenir (voire restaurer) des conditions de travail décentes, au-delà de toute réglementation, notamment pour ceux des salariés dont le rôle n’est pas « télétravaillable ».

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Pyramide des besoins selon l’interprétation de la théorie de la motivation du psychologue Abraham Maslow. – A3nm, CC BY-SA 4.0, via Wikimedia Commons

Les organisations, pour se différencier les unes des autres et maintenir leur attractivité vis-à-vis de leurs parties prenantes, doivent donc répondre à des besoins supplémentaires : appartenance, estime, accomplissement de soi.

Ces nouvelles frontières sont bien identifiées, comme nous l’avons vu plus haut, et cette transformation se fait par une réflexion sur le sens à donner au travail de leurs collaborateurs.

Comment faire en sorte que cette quête de sens soit authentique (créer du sens = créer de la valeur sur laquelle engager les collaborateurs) ? Comment faire en sorte que l’impératif de rentabilité économique soit conciliable avec cette quête de sens ? Comme le titrait The Economist dans un de ses podcasts, « Can companies do well by doing good? », « les entreprises peuvent-elles se faire du bien en faisant le bien ? »

Trois conditions doivent être réunies.

Premier impératif : cette vision doit être incarnée par ses dirigeants, qui doivent en la matière faire preuve d’une exemplarité sans faille.

Deuxième impératif : cette vision doit être claire car « ce qui se conçoit bien s’énonce clairement », et cette vision doit être communiquée à tous les niveaux de l’entreprise. C’est bien le cas du contrat social existant chez Ségula. (cf. Encart 12)

Troisième impératif : cette vision doit s’appuyer sur des piliers identifiables et des faits vérifiables.

S’il est relativement facile de mesurer le coût des mesures de RSE (coût de formation, coût de l’amélioration du process de production, coût du changement de fournisseurs d’énergie, coût de changement des flux logistiques, coût du réaménagement des bureaux…), il est plus difficile d’en mesurer les retombées financières et encore plus les conséquences non financières, « l’impact environnemental et sociétal ». L’amélioration de certains indicateurs commence cependant à être « chiffrable », l’amélioration des résultats devient donc visible dans un bilan financier. C’est le cas de la consommation de CO2, dont la baisse permet directement de limiter l’impact des taxes carbone. Et sans incitation financière, il est encore difficile de faire accepter les coûts à une Direction d’entreprise.

Cette difficulté à mesurer les risques, les coûts et les impacts de ces mesures n’empêche pas les entreprises de communiquer en interne et en externe sur leurs actions, et de développer des politiques de communication très sophistiquées sur ces aspects, allant jusqu’au changement de nom et de slogan (la British Petroleum qui devient « Beyond Petroleum »). D’autres, jouant sur la diversité et la complexité des indicateurs « officiels », se posent en champion du Développement Durable et de l‘impact sur la planète en dépit de leur activité principale. 

Ces pratiques de « greenwashing », comme les promesses de lendemains qui chantent, ne trompent que ceux qui ont envie d’y croire.

(Cf. Encart 13)

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c. La crise exacerbe la quête de sens

Certaines entreprises se positionnent dans une démarche totalement différente et choisissent d’adopter le statut « d’entreprise à mission », un nouveau statut qui s’inscrit dans le cadre de la loi PACTE de 2019, conçue pour permettre aux entreprises de conjuguer performance économique et intérêt général. La plus célèbre entreprise à mission de France est Danone, mais elle n’est pas la seule. (cf. Encart 14) La Poste, par exemple, vient d’adopter ce statut à l’occasion de l’assemblée générale extraordinaire de ses actionnaires, qui s’est tenue le mardi 8 juin 2021. « Fidèle à son héritage d’entreprise pionnière, #LaPoste adopte le statut d’entreprise à mission ». L’objectif ? Conforter « son positionnement d’entreprise à impact positif, au service de la société tout entière ». 

Sans prendre la voie du changement de statut, certaines entreprises font tout de même le choix d’une démarche profonde et se remettent en cause afin de définir une raison d’être responsable, bien plus large qu’une simple définition de leur objet administratif. Cela permet aussi d’aborder cette quête de sens d’une manière dynamique : la raison d’être définit le cadre au long terme, et les modalités business et organisationnelles peuvent être adaptés par rapport au contexte spatio-temporel.

Cela permet aussi aux employés de pouvoir s’impliquer dans la définition de cette raison d’être et de l’incarner chacun à sa manière dans son rôle et sa posture. Chez Adisseo par exemple, la raison d’être de l’entreprise a été définie en 2018 à travers des ateliers réunissant une grande majorité des cadres du groupe mais ses modalités pratiques et son incarnation dans la réalité du business sont en constante adaptation. Cette incarnation sans cesse actualisée s’appuie sur des actions concrètes qui impactent le business et la culture d’Adisseo, comme par exemple :

  • Le lancement de programmes de R&D pour changer les matières premières utiles à la fabrication de ses produits et/ou les process de fabrication (produits biosourcés, neutralité carbone voire bilan carbone négatif, élimination des rejets…) – innovations applicables à court et à long termes ;
  • Le développement de produits visant à limiter l’usage des antibiotiques ou à rendre plus efficace l’utilisation des ressources naturelles par ses clients ;
  • Des accords avec des entreprises qui l’aident à mesurer plus finement certains paramètres physiologiques des animaux afin de proposer les solutions nutritionnelles les plus adaptées ;
  • L’adhésion au réseau des Nations Unies et choix de quatre « Sustainable Development Goals » ;
  • Des groupes de travail impliquant des collaborateurs de toutes les fonctions et géographies afin de revoir la manière d’incarner la Vision d’Adisseo ;
  • Le programme « We Care », lancé en 2021, qui encourage les employés à mettre en place des projets en partenariat avec des acteurs locaux sur trois thématiques en lien étroit avec la Vision de l’entreprise : « food supply, sustainable farming development, education support » (approvisionnement en nourriture, développement d’une agriculture durable, aide à l’éducation) ;
  • Mais aussi des challenges sportifs entre les employés à travers le monde et les différentes branches de l’entreprise, pour favoriser l’activité physique et l’esprit d’équipe et contribuer au financement d’ONG qui poursuivent les mêmes objectifs que l’entreprise (SquadEasy, Oxfam trail…), la négociation avec les partenaires sociaux de modalités de « congés solidaires », le partenariat avec Pauline Déroulède, athlète en handisport…
  • Et encore et toujours une cible à zéro accident du travail.

C’est donc dans les activités quotidiennes de tous les collaborateurs comme dans les décisions stratégiques au plus haut niveau de l’entreprise que s’incarnent ce sens et cette vision. L’entreprise s’est adaptée en profondeur aux attentes exprimées par les salariés de manière individuelle et collective, par la Direction de l’entreprise, par les actionnaires, par les clients, et par toutes ses parties prenantes. Cela a très nettement contribué à l’extraordinaire engagement de toutes les parties prenantes pendant la crise du COVID, et donc aux résultats 2020 du groupe.

Recherche de sens et recherche de performance sont amplement compatibles, la recherche de sens partagée à tous les niveaux de l’entreprise est un levier de transformation de l’entreprise.

A l’échelle d’une entreprise on peut ainsi voir comment une organisation qui a développé une dimension différente dans ses relations avec ses parties prenantes a pu s’adapter au contexte actuel et continue sans cesse à le faire. 

On peut aussi retrouver cette causalité dans un raisonnement inversé : à l’échelle d’un continent, lorsqu’un marché ou un secteur ne s’est pas adapté, les collaborateurs le quittent massivement dès qu’ils le peuvent : c’est le constat que l’on fait sur le marché de l’emploi aux USA, qui connaît actuellement en 2021 une des plus importantes rotations de son histoire, « the Great Resignation ». Ou à l’échelle d’un secteur en France, où la restauration manque désespérément de bras au moment de reprendre son activité, faute d’avoir pris en compte les besoins d’équilibre vie professionnelle–vie personnelle de son personnel (cf. Partie II), ce qui impacte les négociations de branche qui commencent à l’automne 2021. 

3. La culture d’entreprise, un levier d’adaptation ou un frein

Nous l’avons donc vu, la capacité d’adaptation d’une organisation est impactée par 

  • sa compréhension du fait qu’elle doit donner du sens à son activité pour motiver et engager ses parties prenantes ;
  • et son habileté à opérer cette mue. 

Sans ces deux paramètres, l’organisation perd rapidement ses talents et, par là-même, hypothèque son avenir et même sa survie à court terme. Comment s’appuyer sur la culture de l’entreprise pour opérer cette mue ? Et comment faire évoluer sa culture pour en faire un levier de changement ?

La culture d’une entreprise se manifeste à travers un ensemble de codes, de rituels, de modes de fonctionnement, de valeurs et de comportements encouragés à toutes les strates de l’entreprise. En fonction de la culture de l’entreprise et de la volonté de son équipe de direction, les mêmes leviers n’auront pas la même efficacité partout : il n’y a pas de « recette miracle » dans ce domaine.

Ne pas avoir une culture d’entreprise monolithique peut aider à expérimenter davantage,

ou à introduire les « ferments » du changement dans une de ses branches. La diversité des cultures au sein d’une même entreprise est donc un terrain qui peut être favorable, et une culture minoritaire peut embarquer une entreprise entière. « Graecia capta ferocem victorem cepit, et artes intulit agresti Latio » (Horace, Epîtres II – « la Grèce vaincue s’empara de son farouche vainqueur et fit pénétrer les arts dans le Latium rural »). Dans les années 1990 et 2000, chez PSA, un département au sein de la Direction Industrielle Internationale, dirigé par un leader assez peu aligné sur la culture du groupe, était un laboratoire d’expérimentation de nouveautés dans tous les domaines du management industriel et du Lean ; il a notamment développé une démarche et des outils dédiés à « l’entreprise communicante », ancêtre des portails intranet et des One Drives, et il a instillé cette culture digitale dans la toute la Direction industrielle de PSA. Cela a grandement participé au succès de la mise en place du « visual management » dans toutes les unités de production à partir de 2005.

Au contraire, lorsqu’il s’agit de faire converger toute une entreprise vers un paradigme nouveau, l’absence de culture commune peut être un frein. C’est la difficulté qu’éprouvent de nombreux groupes dont les employés ont des statuts historiquement différents (Telecom, EDF, SNCF…) tout comme les groupes issus de fusions-acquisitions entre des entités aux cultures divergentes (GE-Alstom Energie par exemple ou Air France – KLM). Les leviers d’action, les impacts sur les personnes, la dimension axiologique, tout doit être pensé en double et la cohérence du discours sur le « nouveau monde » est parfois difficile à établir.

be the change

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Mais pour autant rien n’est impossible ! Malgré des statuts extrêmement variés et des parts importantes de populations très attachées à la stabilité, la SNCF a réussi à transformer ses contrôleurs en stewards, à faire du contact client leur nouvel ADN et à déployer ainsi dans tous ses trains des agents commerciaux de premier niveau. De l’autre côté du spectre, Sulzer aussi, à l’arrivée de son nouveau PDG et de sa nouvelle équipe de direction, a réussi à lancer une dynamique de changement dans une culture historiquement attachée à ne rien changer (cf. Encart 15). Dans les deux cas, le maillon essentiel de cette transformation a été les managers (cf. Partie V).

Une réalité culturelle identique ne peut donc présager du succès ou de l’échec d’une transformation. Une seule préoccupation est commune : « connais-toi toi-même » est une étape primordiale avant toute transformation, ainsi que la définition d’une cible commune… et l’implication de tous !

En conclusion :

Comme le résume Karine Picard, DG France d’Oracle, dans un article des Echos du 20 octobre 2021, « avant on nous demandait des voitures de fonction diesel, maintenant on nous demande si l’entreprise pollue et ce qu’elle fait pour limiter ses émissions carbone ».

Pour toutes les organisations qui veulent pouvoir s’adapter, il est nécessaire désormais de travailler sur leur raison d’être pour que chaque salarié trouve une raison d’en être !

Au-delà du jeu de mot, on ne peut plus faire l’impasse sur cette question de la définition de la raison d’être, la finalité de l’organisation au-delà de sa performance opérationnelle, économique et financière. Le sens et le système de valeurs et comportements qui l’incarnent sont le pivot autour duquel l’entreprise peut s’adapter, et sans lequel l’organisation ne peut plus compter sur ses collaborateurs.

passion led us here

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Et ce constat n’est pas seulement celui de quelques personnalités altruistes et/ou avant-gardistes, c’est un élément qu’intègrent maintenant aussi les corporations les plus représentatives du capitalisme total, comme l’exprime Larry Fink, le CEO de Blackrock, dans sa lettre annuelle pour 2022 : “Putting your company’s purpose at the foundation of your relationships with your stakeholders is critical to long-term success. Employees need to understand and connect with your purpose; and when they do, they can be your staunchest advocates. Customers want to see and hear what you stand for as they increasingly look to do business with companies that share their values. And shareholders need to understand the guiding principle driving your vision and mission. They will be more likely to support you in difficult moments if they have a clear understanding of your strategy and what is behind it.”

(« Placer l’objectif de votre entreprise au cœur de vos relations avec vos parties prenantes est essentiel au succès à long terme. Les employés doivent comprendre et se connecter à votre objectif ; et quand ils le font, ils peuvent être vos plus ardents défenseurs. Les clients veulent voir et entendre ce que vous représentez, car ils cherchent de plus en plus à faire affaire avec des entreprises qui partagent leurs valeurs. Et les actionnaires doivent comprendre le principe directeur qui sous-tend votre vision et votre mission. Ils seront plus enclins à vous soutenir dans les moments difficiles s’ils ont une compréhension claire de votre stratégie et de ce qui se cache derrière. »)