Les nouvelles approches des conditions de travail

L’entreprise comme lieu de vie : faire se rejoindre les aspirations individuelles et les besoins de l’organisation

Les conditions de travail regroupent l’ensemble des facteurs sociaux, psychologiques, environnementaux, matériels, organisationnels, physiques qui caractérisent l’environnement de travail du salarié. C’est finalement la manière dont « vit » le salarié sur son lieu de travail et les conditions dans lesquelles il exerce son activité, le lieu de travail pouvant être localisé désormais un peu partout, en tout cas pour certaines professions qui le peuvent.

Ces dernières années, la conception des conditions de travail a beaucoup évolué avec l’expression de plus en plus ouverte des aspirations des salariés et leur traduction dans la notion grandissante de « bien-être au travail ».

Si sa conception et les éléments qui la composent diffèrent d’un métier à l’autre et d’une fonction à l’autre, les attentes sont bien là ! Cette notion s’est elle-même progressivement transformée. Il ne s’agit plus seulement de « faire son travail » mais de le faire dans de bonnes conditions, de s’y sentir bien, de bénéficier de facilités.

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Photo by Geraldine Lewa on Unsplash.

L’épanouissement des collaborateurs est de plus en plus considéré comme une responsabilité majeure de l’entreprise. Et la question du bien-être au travail se diffuse au-delà des murs de l’entreprise pour pénétrer jusque dans la vie quotidienne et le domicile. Les organisations essaient de plus en plus de faire en sorte que les collaborateurs se sentent bien, bénéficient d’un cadre de travail agréable et confortable, adapté pour accomplir leurs missions, répondre aux attentes d’autonomie et de flexibilité pour concilier plus facilement vie personnelle et professionnelle. Elles y accordent un regain d’attention car elles sont conscientes que ces réalités peuvent jouer un rôle non seulement dans le choix de rejoindre une entreprise, y rester ou au contraire la quitter, mais aussi dans l’engagement des collaborateurs.

L’entreprise devient en cela un véritable lieu de vie, facilitant le quotidien des collaborateurs dans et hors les murs. Une entreprise dans laquelle on se sent bien, valorisé(e), où l’on peut être soi-même, une entreprise bienveillante ! En somme, un lieu de rencontre, d’apprentissage, d’échange, de partage et d’épanouissement.

A travers les notions de bien-être au travail et de qualité de vie au travail, considérer l’entreprise comme un écosystème où s’entremêlent vie pro et vie perso, peut-il être un levier facilitateur pour adapter l’organisation du travail aux nouveaux enjeux ? 

Pour y contribuer, les organisations peuvent agir sur différents leviers. Trois nous semblent fondamentaux pour encourager la transformation de l’organisation du travail, si tant est qu’ils soient mobilisés à bon escient et ne soient pas seulement « cosmétiques ». 

Le premier levier est classique mais toujours pertinent : les conditions matérielles et l’environnement de travail. Les faire évoluer est-il à même d’attirer et de fidéliser les collaborateurs, favoriser de nouveaux modes de collaboration de nature à faciliter la transformation de l’organisation en elle-même et de ses activités ?

Un second aspect concerne les modes de travail ; ces dernières années et, de manière accélérée ces derniers mois, sont apparus de « nouveaux » modes de travail, en particulier pour favoriser l’équilibre vie pro-vie perso. Pour de nombreux salariés qui le pouvaient, la crise sanitaire a été l’occasion de tester le télétravail « à haute dose », un test grandeur nature qui permet aussi de se rendre compte des écueils potentiels, tout en permettant des évolutions culturelles majeures (remise en cause de la culture du présentéisme).

Enfin, les actions qui favorisent le bien-être au travail prennent diverses formes et cherchent à faire se rejoindre les attentes individuelles et les besoins de l’entreprise, et participent également à cette nécessaire transformation des organisations. 

Quel est l’impact de ces réponses sur les collaborateurs ? Vertueuses à l’origine, certaines s’avèrent in fine ne pas être toujours pertinentes, ou engendrer des effets contre-productifs qui obligent à réorienter, prendre d’ores et déjà des mesures de régulation ou d’adaptation.

Face à un monde du travail irrémédiablement modifié par la crise sanitaire, sur quels éléments les entreprises devront-elles travailler en priorité pour fidéliser leurs collaborateurs ou en attirer de nouveaux ?

1. L’importance des conditions matérielles de travail pour l’adaptation et la transformation des organisations

Comment les conditions matérielles de travail peuvent-elles influencer la capacité dadaptation et la transformation des organisations ?

Pour recruter, fidéliser les collaborateurs et les engager, les entreprises doivent améliorer en continu les conditions matérielles et les adapter aux attentes de leurs (futurs) collaborateurs.

La modernité technologique des entreprises et de leurs outils est de plus en plus souvent perçue comme un « essentiel » pour les collaborateurs, en particulier pour les millenials et la génération Z. 

Cette attente est forte chez les jeunes notamment, mais pas seulement.

En effet, les entreprises ne peuvent plus se permettre d’accuser un retard, voire un décalage technologique, sous peine de rebuter les talents de demain.

Cette « modernité », un environnement technique et digital « sans couture », est aussi nécessaire à l’évolution des modes de travail, notamment le développement de la flexibilité du travail et la capacité à interagir quel que soit le lieu de travail, en toute sécurité et avec la plus grande fluidité (télétravail, déplacements professionnels, déplacements intersites…). Elle peut également être de nature à faciliter l’acceptation des contraintes liées à certains métiers comme c’est le cas chez Transdev, opérateur de mobilité, avec le programme « drivers@transdev ». (cf. Encart 5)

Au-delà des moyens techniques et technologiques, les organisations mettent aussi en place un cadre matériel, un environnement favorable à la réalisation des missions, à la collaboration et aux interactions entre les salariés.

Si l’environnement de travail ne fait pas tout, il doit permettre aux collaborateurs de se sentir à l’aise ; les espaces de travail doivent être adaptés et apaisants. L’aménagement physique des espaces de travail influence la manière de travailler, encourage ou non l’échange et la transversalité. 

On rencontre de plus en plus fréquemment des espaces dédiés aux projets, à la collaboration, à la discussion. Ces espaces fermés, à côté d’espaces ouverts que sont devenus les bureaux, sont dédiés à des temps de travail collectifs (salles aménagées dédiées à la créativité) ou propices à la détente et au partage (espace de repos / détente, espaces café agréables, plantes vertes ou lampes de bureau design, babyfoot, canapés confortables). Autant d’aménagement et autres accessoires qui accompagnent souvent les réorganisations ou les déménagements. Les ateliers de production se modernisent également, avec par exemple l’introduction d’outils d’usinage plus intelligents, comme les cobots ou les exosquelettes. Les équipements et les environnements de travail deviennent aussi plus agréables (réfectoires et douches) et accueillants.

Googleplex courtyard

Googleplex central courtyard. — Wikimedia Commons, CC BY-SA 3.0. No changes were made.

L’esthétique et le confort du lieu peuvent être appréciés un certain temps mais conduisent parfois aussi à des situations « perverses ».

A l’image du « play hard, work hard » chez Google par exemple qui, sous couvert d’espaces agréables et une apologie du « fun » (ou de « l’entertainment »), pousse les collaborateurs à travailler toujours plus. Ce qui est désormais surtout attendu par les collaborateurs est la praticité, la facilité d’accès et l’adaptation de l’espace et des outils aux tâches qu’ils ont à réaliser. L’espace de travail, longtemps sacralisé par le bureau individuel, devient flexible, commun, partagé (fini le bureau personnel et individuel !) – il est désormais le lieu du collectif.

Placés ainsi dans de bonnes dispositions matérielles, un cadre sécurisant et permettant le partage avec leurs collègues, les collaborateurs seraient plus motivés et performants, mais aussi plus confiants et sereins vis-à-vis de la transformation de leur cadre de travail.

Avec la crise sanitaire, les outils collaboratifs digitaux ont connu un essor sans précédent. Déjà présents pour animer des réunions ou des événements, les klaxoon, slack, teams, beekast, kahoot, miro, mural, etc. sont désormais des outils du quotidien des collaborateurs et dans l’avancée des projets. Pour autant ils ne se suffisent pas à eux-mêmes !

En effet, ces dix-huit derniers mois, la crise sanitaire et ses conséquences – en particulier la mise entre parenthèses de notre vie sociale personnelle et professionnelle – ont fait émerger le besoin de retrouver du lien à travers l’entreprise.

Devraient suivre des réflexions sur les modalités pour favoriser / faciliter les conditions du retour « au bureau » et (re)faire de l’entreprise le lieu où il fait bon se retrouver, un lieu de vie ! L’entreprise deviendra-t-elle le lieu – uniquement – du collectif, de l’échange, du projet commun ? Comment ce lieu se matérialisera-t-il ? A n’en pas douter les idées devraient fleurir sur le sujet…

2. Nouveaux modes de travail et équilibre vie pro–vie perso

Où placer le curseur ?

Les nouveaux modes de travail, notamment le télétravail choisi (et non imposé comme pendant les confinements), visent entre autres à améliorer l’équilibre vie pro-vie perso. En facilitant la vie des collaborateurs, par exemple en permettant de réduire les temps de déplacement – et la fatigue associée – mais aussi en rendant plus facile la gestion du quotidien pour les collaborateurs (gestion des enfants par exemple), le télétravail permet à l’organisation de répondre, au moins en partie, aux aspirations individuelles.Et partant, de renforcer leur engagement.

a. L’accélération de la pratique du télétravail

La crise sanitaire a accéléré la pratique du télétravail et renforcé certaines attentes comme le confirment les enquêtes. En effet, le « nouveau » mode de vie pendant la crise sanitaire a permis pour une partie des collaborateurs, d’apprécier le gain de temps, l’amélioration de la productivité et un meilleur équilibre avec leur vie personnelle. Et ils ne souhaitent pas abandonner ce mode de travail flexible une fois l’épidémie maîtrisée. L’attente est celle d’un mode hybride entre le travail à distance et des journées au bureau. Ce qui n’était qu’un avantage ou une option appréciée par certains il y a encore quelques mois devient une véritable attente.

Les entreprises qui ne mesurent pas suffisamment cette évolution des attentes peineront sûrement à attirer ou retenir leurs talents !

Au point que 31 % des employés seraient même prêts à quitter l’entreprise en cas de refus de télétravail, 43 % chez les moins de 35 ans (sondage Opinionway/Slack, novembre 2021). « La plupart des entreprises ont mis en place une organisation de travail hybride et nous en voyons les bénéfices. Cette adaptation est un levier clé pour retenir les talents. » (N. André, directeur des ventes Grandes Entreprises chez Slack), un avantage compétitif pour 72% des collaborateurs dans un contexte de marché de l’emploi sous pression.

Le travail à distance a aussi obligé les managers à laisser plus d’autonomie à leurs collaborateurs et à développer la confiance dans leurs propres pratiques managériales. L’autonomie et la confiance sont d’ailleurs des voies de management non seulement attendues par les collaborateurs, mais aussi efficaces (cf. Partie V). Cette organisation est appréciée dans la plupart des cas ; tout retour en arrière serait difficilement acceptable et justifiable.

Néanmoins, la crise a aussi fait surgir les limites du modèle avec une emprise parfois trop importante du pro sur le perso et finalement un déséquilibre plutôt que l’équilibre attendu. Nous pouvons citer au moins deux effets négatifs.

D’une part, le télétravail imposé a été fréquemment associé à une intensification du travail, de (plus) longues journées de travail où le temps de transport devient un temps de travail, des réunions qui s’enchaînent sans pause… Les recherches de la Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de vie et de travail (Eurofound, 2020) montrent que les personnes qui télétravaillent régulièrement sont deux fois plus susceptibles de travailler plus de 48 heures par semaine comparées à celles qui travaillent en présentiel. Et 30% affirment travailler pendant leur temps libre plusieurs fois par semaine, contre moins de 5 % des personnes travaillant sur site. Eurofound parle de « paradoxe de l’autonomie » dans lequel l’autonomie passe du statut d’atout (la liberté de choisir quand, où et comment travailler) à celui d’inconvénient (l’obligation de faire face à une charge de travail accrue). 

D’autre part, le télétravail imposé a également eu des effets néfastes liés à la solitude et à l’isolement, en particulier chez les jeunes générations, qu’on croyait pourtant des plus résilientes car déjà habituées à un environnement très empreint du digital !

Sondage Opinionway pour « Les Echos » et Harmonie Mutuelle de septembre 2020

Sondage Opinionway pour « Les Echos » et Harmonie Mutuelle, septembre 2020

Dans un sondage Opinionway pour « Les Echos » et Harmonie Mutuelle de septembre 2020, les Français dressent un bilan contrasté de leurs mois de télétravail intensif : ce qui ressort en priorité est le « manque d’humain ». S’ils évoquent « moins de perte de temps » (trajet, interruptions, pauses), « plus de responsabilités » (avec une hiérarchie davantage encline à déléguer) et un « cadre » dans lequel « on se fixe soi-même les objectifs », ils évoquent aussi de nouvelles sources d’anxiété, liées au manque d’interactions sociales (32%), au sentiment de solitude (22%), ou encore à l’afflux de mails et de réunions virtuelles. Ils sont encore plus nombreux à y voir un risque de « ne jamais déconnecter » (67 %) et « la fin programmée du lieu de travail comme espace de convivialité » (70 %). Un stress d’une autre nature apparaît.

Il n’est plus nécessairement lié à la surcharge de travail, au poids de la bureaucratie, au contexte concurrentiel… mais à la sur-connexion, au présentéisme digital, ou encore à la raréfaction des contacts réels qui obligent à interpréter sans cesse les messages. Encore une bonne idée en soi, qu’il convient donc de déployer et utiliser de manière réfléchie sous peine de transformer cet atout pour l’adaptation en irritant pour les salariés.

b. Comment trouver un équilibre entre engagement des collaborateurs et respect de la vie privée ? 

Comment ne pas faire de l’amélioration attendue de l’articulation vie pro – vie perso quelque chose d’intrusif qui in fine empiète sur la vie privée ? Où placer le curseur pour que collaborateur et entreprise trouvent leur compte et que l’entreprise et le travail continuent d’assurer leur fonction de lien social ?

Quels que soient les effets – bénéfiques ou non – du développement des nouveaux modes de travail, leur hybridation et leur intensification imposent de développer des garde-fous, à deux niveaux au moins. D’une part, pour que les organisations puissent les déployer en toute sécurité pour elles-mêmes avec l’émergence des questions de cybersécurité. Et, d’autre part, pour le bien-être de leurs collaborateurs. Cette régulation peut s’organiser de manière individuelle ou collective. 

Au niveau collectif, le droit à la déconnexion devient un enjeu de gestion du temps et de la vie privée et une préoccupation de santé publique. 

En moins de 25 ans, selon Francis Jauréguiberry, sociologue au CNRS (2014), « nous sommes passés d’un plaisir récent de connexion à un désir latent de déconnexion ». Il voit là une nouvelle fracture numérique entre ceux qui ont la chance et le pouvoir de se « débrancher » et ceux qui « ont le devoir de rester branchés » et donc de « continuellement subir la tension d’une urgence potentielle ».

En un quart de siècle, on passe d’une période où le luxe était de disposer d’une connexion à un temps où le droit à l’autonomie et à la possibilité d’échapper à une sur-sollicitation, à une surcharge informationnelle, à une disponibilité permanente le devient.

A cela s’ajoutent des enjeux pour la santé physique et mentale des collaborateurs et pour le respect de sa vie privée.

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c. Des évolutions dans la règlementation interne des entreprises et dans la législation du travail. 

Initiées chez Volkswagen en Allemagne après une bataille syndicale à la fin des années 2000, puis chez Daimler ou BMW, les premières mesures mises en place sont par exemple le blocage des serveurs de communication entre 18h15 et 7h du matin chez le premier, jusqu’à la destruction automatique de mails en cas d’absence chez le second. En France, le droit à la déconnexion, instauré par la « Loi travail » du 8 août 2016, est en vigueur depuis le 1er janvier 2017. Consacré à l’article L. 2242-17 du Code du travail, il vise à assurer le respect des temps de repos et de congés, à garantir l’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle et familiale, à protéger la santé des salariés, sans pour autant détailler les modalités laissées aux accords d’entreprises, ni établir de sanction. Au niveau européen, ce droit a même été érigé en un droit fondamental en janvier 2021. Au-delà de la réglementation, les organisations mettent également en place des bonnes pratiques reposant sur le bon sens : la journée sans meeting (comme chez ESI group), la coupure des serveurs à 18h, le stockage des mails pendant les vacances, une durée de réunion réduite pour garantir des pauses et des coupures qu’on ne s’autorise plus à distance ! Certains y voient cependant une infantilisation et une déresponsabilisation des collaborateurs vis-à-vis de leur travail, voire même des risques pour la performance de l’entreprise, privée de sa capacité à gérer l’urgence dans un environnement complètement ouvert et mondialisé.

Il ne s’agit plus de séparer strictement vie privée et vie professionnelle, mais plutôt de co-construire le bon équilibre avec son entreprise en se basant sur la responsabilisation commune plutôt que sur l’infantilisation.

C’est ce qu’on appelle le « blurring », où les limites entre sphères privée et professionnelle se brouillent, voire s’effacent. Le droit à la déconnexion serait alors plutôt vu comme un encouragement à optimiser les organisations en prenant mieux en considération les besoins et les capacités individuelles et en permettant de maintenir l’efficacité et l’engagement des collaborateurs, tout en limitant les risques sociaux.

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Cette responsabilisation commune se situerait à un niveau individuel et à un niveau collectif, indissociables d’une réflexion globale sur la culture d’entreprise et la qualité de vie au travail : 

Au niveau des collaborateurs d’abord, avec une prise de conscience nécessaire – car tout ne vient pas que de l’organisation en elle-même : il y a l’hyper-connectivité, la peur de rater l’information, l’addiction au travail, le perfectionnisme ! Il ne s’agit pas tant de séparer vie pro et vie perso mais de trouver un équilibre entre les deux et de montrer qu’une partie du chemin porte aussi sur les comportements des collaborateurs et leur propre compréhension. 

Des outils comme « my analytics » d’outlook permettent une analyse de la semaine type avec le temps passé en réunion, à lire ses mails, le nombre de jours sans connexion en dehors des heures de travail et peuvent également aider à cette prise de conscience par la visualisation. Ou encore les pop up de connexion lorsqu’un mail est envoyé en dehors des heures de travail, qui proposent au collaborateur de différer l’envoi si ce n’est pas impératif (La Poste depuis 2015). 

Cette approche invite à s’interroger sur les conséquences de ses actes sur autrui.  Il faut aussi s’interroger sur la perception, car nous n’avons pas tous le même rapport aux outils digitaux : un email reçu un samedi à 19h sera vu par certains comme une information à consulter quand ils en auront besoin quand d’autres le ressentiront comme une pression forte.

Au niveau des entreprises et des managers également, qui ont un rôle à jouer pour faire évoluer les pratiques et faire en sorte que les collaborateurs ne se sentent pas obligés d’être disponibles et connectés en permanence.

Cela passe par la co-construction des comportements et valeurs adaptés, une « réinvention » de la culture d’entreprise et des modes de travail avec TOUS les collaborateurs, et pas seulement les managers,

qui encouragent des temps de travail individuels, concentré, tout en favorisant la collaboration et qui protègent la santé des salariés tout en continuant de les challenger chaque jour.

A titre d’exemple, pour alimenter la négociation avec les partenaires sociaux sur les nouveaux modes de travail, RTE a lancé à l’automne 2021 des ateliers avec une cinquantaine de managers volontaires pour co-construire des recommandations sur les modalités des nouveaux modes de travail et identifier l’accompagnement qui sera nécessaire afin d’adapter les pratiques de management.

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Photo by Nelly Antoniadou on Unsplash.

Le contexte récent de pratique intensive du télétravail interroge sur ces derniers points. Les accords de télétravail négociés à la suite de la crise sanitaire, s’ils accélèrent pour certains et installent durablement ce mode de travail, cherchent dans le même temps à poser des garde-fous, en imposant une présence minimale sur site pour maintenir, voire recréer, le lien social et les dynamiques d’équipe. Questions d’autant plus cruciales dans une société française qui a tendance à se fragmenter, où le bureau reste in fine le dernier lieu où tout le monde se croise !

d. Mais alors comment donner envie aux collaborateurs de revenir ? 

L’expérience inédite et soudaine du télétravail a brisé le monopole ancestral du bureau comme lieu de travail. Il va devoir évoluer pour rester compétitif. Selon Véronique Bédague-Hamilius, directrice générale déléguée du Groupe Nexity, « il va devoir se réinventer précisément en proposant ce que le télétravail ne peut pas offrir, c’est-à-dire une véritable expérience sociale au sens le plus riche du terme. Les entreprises doivent désormais intégrer cette dimension comme le fondement absolu de leur stratégie immobilière sous peine d’être désertée par leurs salariés – si le siège social n’est pas vraiment social, alors autant rester chez soi » (Les Echos, 8 juillet 2020). (cf. Encart 6)

Pour ne pas risquer la perte du « lien et du lieu que constitue le travail » (Benoît Serre, ANDRH, 2020), cette transformation doit se retrouver sur le lieu de travail, à la manière de Victor Hugo « La forme c’est le fond qui remonte à la surface ». 

Une liberté d’organisation possible, le renforcement de l’autonomie et la confiance, le maintien du lien social et la co-création doivent se retrouver dans la configuration physique des espaces de travail en eux-mêmes. Avec la crise sanitaire les entreprises ont également dû réinventer les parcours d’onboarding en 100% distanciel, avec de jeunes arrivants qui ont dû attendre plusieurs mois parfois avant de voir « en vrai » leur équipe et leur manager. Beaucoup comme l’AP-HP ou Doctolib ont eu recours aux messageries collaboratives pour créer et garder le lien.

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Photo by Etienne Girardet on Unsplash.

Bien entendu, gardons à l’esprit que de très nombreux métiers ne sont pas et ne pourront pas être concernés par la généralisation de ce mode hybride, en particulier pour tous ceux qui travaillent dans les secteurs primaires et secondaires (25% des postes seulement sont télétravaillables dans l’industrie) – et certains collaborateurs ne souhaitent pas non plus télétravailler. Pour ceux-ci, comprendre et mesurer les aspirations individuelles est essentiel. Au-delà des primes financières accordées et de la « reconnaissance de la Nation », d’autres réponses doivent être trouvées, ces secteurs ayant été souvent placés en première ligne pendant la crise et ayant aussi besoin de retrouver du sens dans leur travail. Un des avantages du télétravail réside notamment dans l’autonomie et la responsabilisation qu’il permet, l’équité pourrait passer par le développement et la promotion de ces deux dimensions pour des salariés contraints au travail sur site.

Il reste que « l’entreprise de demain va combiner de façon structurelle et intelligente la présence et l’absence » (Laurent Taskin, Louvain School of Management). Le télétravail permet de délivrer ce qui est attendu mais la dimension innovante et créative des équipes se trouve dans le présentiel. Sans oublier le lien social à la machine à café. L’entreprise de demain devrait donc devenir un lieu d’échanges et de collaboration. Avec une valeur ajoutée qui fait que, oui, cela vaut la peine d’y venir !

3. De la décoration fengshui au bien-être psychologique

Comment se saisir de l’évolution de la notion de « bien-être au travail » pour soutenir la transformation des organisations ?

a. L’importance grandissante de la notion de bien-être au travail

Troisième levier, plus subjectif, au-delà de la décoration fengshui, le bien-être au travail apparaît comme un ingrédient essentiel de la transformation des organisations. C’est une valeur qui monte depuis quelques années et qui est en pleine mutation. D’un effet de mode presque « cosmétique » et « décoratif » mais assez limité en matière d’impact (matérialisé par la salle de yoga, le babyfoot ou encore la plante verte, voire même incarné par une fonction avec le Chief Happiness Officer), le bien-être au travail revient avec une nouvelle ampleur et les aspirations des salariés se situent bien au-delà. Dans cette version évolutive, la notion de bien être psychologique est-elle une opportunité de transformation plus profonde et durable des organisations ? 

Les employeurs mesurent de plus en plus systématiquement les attentes de leurs collaborateurs en la matière dans les Employee Opinion Surveys avec la volonté de mettre en place des actions concrètes pour y répondre.

Face à ces données objectivées, ils sont désormais obligés de proposer des améliorations des conditions de vie au travail, et plus seulement des conditions de travail, pour attirer et garder leurs talents.

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Photo by Austin Distel on Unsplash.

Du patron paternaliste à l’entreprise paternaliste il n’y a qu’un pas, même si les ingrédients de la recette diffèrent : crèches d’entreprises, conciergeries, salles de sport, livraisons de paniers bio… les initiatives existent depuis longtemps mais elles se systématisent de plus en plus, en lien avec les aspirations individuelles (une vie meilleure, plus saine, plus sereine) et les tendances sociétales (la montée du bio, de la méditation, le phénomène du slow…). Si les effets positifs sont reconnus ou appréciés des salariés, attention à l’effet big brother qui s’occupe de tout, y compris de la vie à la maison, et au détournement de certaines solutions ! Et comme nous le confiait Valérie Wack lors d’un entretien, « Pour moi, cette entrée dans la vie quotidienne des employés c’est « coron 3.0 », on a tout sur le lieu de travail donc on n’a plus besoin de sortir. Moi je préfère que les gens sortent dix minutes plus tôt pour récupérer leur pressing et qu’ils aient une vraie vie ».

b. L’évolution des conditions de vie au travail est-elle une réponse pertinente aux nouvelles aspirations individuelles ?

Rejet du management par le contrôle, recherche de plus d’autonomie dans la gestion de son organisation personnelle, forte attente en matière de développement professionnel, aspiration assumée à la réalisation de soi, mais aussi sécurité psychologique (réassurance, sérénité, etc.), renforcée par la crise sanitaire comme le montre cet article de la revue HBR de février 2021 (p.86 sq), sont des attentes de plus en plus marquées des collaborateurs.

Le contrat de travail qui pose les bases de l’organisation, le mode de travail, les horaires, etc., ne suffit plus pour répondre à ces nouvelles aspirations qui relèvent plus d’une sorte de « contrat psychologique » (Denise Rousseau, 1989),

tacite et implicite. Le contrat psychologique, ce sont les attentes du salarié vis-à-vis de son entreprise et des compensations qu’il considère qu’elle lui doit, en contrepartie de son travail, de son engagement, et de ses efforts. Si ce contrat psychologique, invisible, et dont les composantes sont difficiles à identifier via des enquêtes, n’est pas pris (suffisamment) en considération, le risque est qu’il soit rompu et provoque – au mieux – une baisse de productivité, mais aussi du désengagement, voire des départs.

Cette dimension est à prendre en considération dans le contexte de sortie de crise sanitaire. En effet, après avoir pensé le télétravail, établi les horaires, défini l’alternance présentiel–distanciel, mis à disposition les outils et le matériel, il faut maintenant penser le retour au travail en tenant compte de ce contrat psychologique et imaginer les conditions dans lesquelles ce retour est envisagé.

Dans ce contexte, les réflexions récentes, basées sur les neurosciences, nous semblent utiles à mobiliser.

(cf. Encart 7)

Elles misent sur le facteur humain comme un des fondamentaux de la capacité des organisations à s’adapter, à tous les niveaux – collaborateurs, managers et dirigeants. Il s’agit de mieux comprendre pour répondre aux aspirations de chacun afin d’être individuellement plus épanouis et accomplis et collectivement plus unis et performants. Des structures comme Rakuten, Natixis ou encore Adisseo mobilisent les neurosciences pour mieux comprendre les mécanismes neuropsychologiques à l’œuvre dans leurs organisations et chez leurs collaborateurs et pour apporter des réponses concrètes aux aspirations individuelles, afin de concilier épanouissement des collaborateurs et performance.

En conclusion :

La transition entre les « conditions de travail » et les « conditions de vie au travail » est un des phénomènes qui transforment le plus profondément la relation entre les employés et les employeurs. En essayant de faire se rejoindre les aspirations individuelles des collaborateurs et leurs propres aspirations, les organisations cherchent à optimiser l’engagement potentiel et effectif de leurs ressources, condition importante de leur capacité à s’adapter aux changements de plus en plus rapides. Cependant, pour en augmenter l’effectivité, elles doivent définir ce qui pour elles constitue la limite entre l’aide et l’intrusion. Le mieux est parfois l’ennemi du bien !